16 Novembre 2018
Le 25 octobre fut publiée au Moniteur belge la loi du 14 octobre 2018 instaurant une taxation optionnelle en matière de location de biens immeubles par nature, applicable au Ier janvier 2019.
J'ai relevé deux incertitudes, sources d'insécurité juridique, et un étonnement.
1. A quels bâtiments s'applique cette mesure: leur nature ?
Selon le texte de Loi il s'agit des bâtiments construits pour lesquels les taxes sont exigibles pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018.
Selon des commentateurs (1) le régime optionnel s'appliquera aussi à des bâtiments rénovés (a) après des travaux immobiliers par lesquels le bâtiment ancien a subi une modification radicale dans ses éléments essentiels et, le cas échéant, sa destination, quel que soit le coût des travaux entrepris ou (b) après des travaux immobiliers effectués au bâtiment dont le coût, hors T.V.A., atteint au moins 60 % de la valeur vénale du bâtiment, terrain exclu, au moment de l’achèvement de ces travaux.
Le nouveau texte de l'article 44,§3,2,d) du Code de la TVA viserait ainsi non seulement les bâtiments nouvellement construits tels que la Loi le mentionne mais également certains bâtiments rénovés. Voici une sérieuse extension du champ d'application de la mesure.
Qu'en est-il ?
Selon le nouvel article 44,§3,2,d) CTVA "L'option ne peut être exercée que pour des contrats relatifs à des bâtiments ou fractions de bâtiments pour lesquels les taxes grevant les opérations visées à l'article 19, § 2, alinéa 3, relatives aux bâtiments mêmes et qui concourent spécifiquement à leur construction sont exigibles pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018 ".
L'option concerne ainsi des services spécifiques (article 19, § 2, alinéa 3 CTVA (2)) pour autant (voir le "et" du texte de Loi) qu'ils concourent spécifiquement à la construction d'un bâtiment.
Sachant qu'un texte de Loi clair ne souffre aucune interprétation la TVA optionnelle ne vise que les travaux relatifs à une construction. Ce mot n'étant pas défini par le Législateur il faut se référer à sa compréhension usuelle d'où résulte qu'une construction n'est pas une rénovation. Il n'est donc pas requis d'analyser les documents parlementaires (3) pour chercher à comprendre la pensée du Législateur même s'il s'avère qu'il souhaitait donner à cette mesure un champ d'application plus vaste que celui finalement retenu par un texte clair.
Notons, par ailleurs, que dans les documents parlementaires de la Loi du 25 octobre 2018 il est attribué au mot construction une portée que l'administration fiscale a donnée en 1973 et 1976 pour des bâtiments transformés les assimilant à des bâtiments neufs dont la livraison pouvait (et le peut toujours) être soumise à la TVA (4) se basant uniquement sur "l'esprit des textes de loi" qu'elle commentait. Toutefois un immeuble redevenu ainsi neuf selon l'administration n'est pas une construction et il ne pourrait être admis qu'une décision de l'administration, fusse-t-elle entérinée par des Cours et Tribunaux, constitue une définition fiscale légale d'un terme clair employé dans un texte tout aussi limpide.
En conclusion je vous invite à la prudence (5) car un texte clair ne s'interprète pas et rénover un bâtiment n'est pas le construire. Si le législateur voulait donner au mot "construction" la définition élargie que l'Exposé des motifs lui donne et donc certains commentateurs, il l'aurait précisée dans le texte de loi même.
2. Pour quels bâtiments s'applique cette mesure : la date ?
Selon le 3ème alinéa de l'article 44,§3,2,d) "L'option ne peut être exercée que pour des contrats relatifs à des bâtiments ou fractions de bâtiments pour lesquels les taxes grevant les opérations visées à l'article 19, § 2, alinéa 3, relatives aux bâtiments mêmes et qui concourent spécifiquement à leur construction sont exigibles pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018".
Il faut donc que les taxes grevant les opérations concourant à la construction soient exigibles pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018.
Notons que le législateur parle de l'exigibilité des taxes grevant des opérations visées à l'article 19, §2, alinéa 3 CTVA. Est-ce qu'une facture d'acompte, qui rend la TVA exigible (article 22 bis, § 1er, 3° CTVA), pourrait exclure le bâtiment construit de la nouvelle mesure d'option à la TVA si elle fut émise avant le Ier octobre 2018 ? Je réponds négativement à cette question en raison même du texte de l'article 22 bis, § 1er, 3° CTVA :" Lorsque le prix est perçu ...., avant le moment où la prestation de services est effectuée, la taxe devient toutefois exigible au moment de la réception du paiement, à concurrence du montant perçu" (je souligne). Pour être exclu du champ de la nouvelle mesure il faut que les taxes grevant les opérations concourant à la construction soient exigibles pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018. Toutefois la TVA exigible suite à une facture d'acompte l'est en raison du prix perçu avant le moment où la prestation de services est effectuée. Dés lors que la TVA exigible suite à la facture d'acompte ne l'est pas en raison d'une opération concourant à la construction il n'y a pas de base légale à exclure le bâtiment de la faculté d'option à la TVA si elle est reçue avant le Ier octobre 2018.
Certes dans l'Exposé des motifs (6) le Ministre des finances dit que "la première cause d’exigibilité de la TVA (par exemple la réception du paiement d’un acompte,l’émission d’une facture) qui se produit en rapport avec les frais qui sont directement imputables à la construction du nouveau bâtiment, est déterminante" (je souligne) . Toutefois si un acompte est perçu en rapport avec des services il n'empêche que l'exigibilité de la TVA qui en résulte l'est en raison de son encaissement et non d'un service qui concourt à la construction d'un bâtiment (7). Une facture d'acompte antérieure au Ier octobre 2018 ne saurait exclure un bâtiment de l'option que si elle est imputée avant le Ier octobre sur une facture de services prestés (8).
3°. Un étonnement: la loi ne vise que des travaux immobiliers.
Il est surprenant de noter que le texte de loi ne vise que les travaux immobiliers puisqu'elle se réfère uniquement à l'article 19,§2,3ème alinéa CTVA et non aux services qui y sont assimilés.
Il suffit de lire l'article 20,§2 de l'Arrêté royal n° 1 ("Est visé tout travail immobilier au sens de l'article 19 § 2, du Code. Sont également visés, dans la mesure ou ils ne sont pas des travaux immobiliers ... etc.) pour réaliser qu'il y a, à mon sens, un oubli qui exclut les installations de chauffage, électricité, ascenseurs ... etc.).
Stephen G Hürner
(1) Dont Messieurs Samir Haouri et Thomas Van Beveren - KPMG - dans "La Lettre TVA n° 2018/08, Septembre 2018 - Kluwer".
(2) Article 19, § 2, alinéa 3 CTVA : "tout travail de construction, de transformation, d'achèvement, d'aménagement, de réparation, d'entretien, de nettoyage et de démolition de tout ou partie d'un immeuble par nature, ainsi que toute opération comportant à la fois la fourniture d'un bien meuble et son placement dans un immeuble en manière telle que ce bien meuble devienne immeuble par nature"
(3) - 1 - Nous lisons dans l'Exposé des motifs "Sont visés d’une part également les frais liés aux travaux immobiliers par lesquels le bâtiment (ou fraction de bâtiment) ancien a subi une modification radicale dans ses éléments essentiels, à savoir dans sa nature, sa structure (murs porteurs, colonnes, planchers, cages d’escaliers ou d’ascenseurs…) et, le cas échéant, sa destination, quel que soit le coût des travaux entrepris pour apporter cette modification, par rapport à la valeur du bâtiment avant la modification " et "D’autre part, sont également visés les frais liés aux travaux immobiliers effectués au bâtiment ou à la fraction de bâtiment dont le coût, hors TVA, atteint au moins 60 p.c. de la valeur vénale du bâtiment ou de la fraction de bâtiment auquel (à laquelle) les travaux sont exécutés, terrain exclu, au moment de l’achèvement de ces travaux"(Document parlementaire n° 3254/001, pages 27 & 28). - 2 - Voir également la page 4 du Rapport de la Commission des finances - DOC 54 3254/002: "Le régime de TVA optionnelle s’applique uniquement aux nouvelles constructions ou aux travaux de rénovation profonde entamés à partir du 1er octobre 2018".
(4) Voir à ce propos l'excellent article de Monsieur Gilles Carnoy " Le bâtiment redevenu neuf" - 28 octobre 2017.
Voir aussi: I. La Circulaire 16 du 28 juin 1973 : "10. Pour l'application de la base minimale d'imposition visée dans la présente circulaire, il y a construction d'un bâtiment neuf dans les cas suivants ...(3°) Transformation d'un bâtiment existant, en manière telle que la structure et la destination de l'ancien bâtiment soient modifiées", II. La Décision n° E.T. 19.497 du 29.04.1976 - n° 595: "Toutefois, dans l'esprit du texte de l'article 9, § 3, du Code, il y a lieu de considérer comme un bâtiment neuf non seulement le bâtiment nouvellement construit, mais encore un bâtiment ancien, lorsque ce bâtiment a subi des transformations telles qu'il acquiert de ce fait les caractéristiques d'un bâtiment neuf. Premier cas. Par le fait des travaux entrepris dans le bâtiment ancien, celui-ci a subi une modification radicale dans ses éléments essentiels, à savoir dans sa nature, sa structure et, le cas échéant, sa destination (cfr. circ., n° 16/1973, n° 10, 3°). Troisième cas. Lorsque les travaux entrepris sont tels qu'ils entraînent une modification importante du bâtiment, mais qu'il est néanmoins malaisé d'apprécier si le bien a subi une modification radicale dans ses éléments essentiels, au sens de ce qui est dit au premier cas ci-dessus, on pourra admettre néanmoins que l'on se trouve devant un bâtiment neuf si le coût, hors T.V.A., des travaux effectués par le propriétaire lui-même ou par des tiers pour son compte, atteint au moins 60 p.c. de la valeur vénale du bâtiment auquel les travaux sont exécutés, terrain exclu, au moment de l'achèvement de ces travaux" et III. Le Manuel de la TVA, n° 152/2): "152/2 Bâtiments anciens transformés - Dans l'esprit du texte de l'article 44, § 3, 1°, du Code, il y a lieu de considérer comme bâtiment neuf, non seulement le bâtiment nouvellement construit, mais également le bâtiment ancien qui a subi des transformations telles qu'il acquiert de ce fait les caractéristiques d'un bâtiment neuf. A cet égard, on peut envisager trois hypothèses distinctes....etc".
(5) Prudence qui m'apparaît partagée par Monsieur Yves Bernaerts : "Bien entendu, ces critères retenus par l'administration ne s'imposent pas aux cours et tribunaux, mais peuvent être utilisés comme éléments d'appréciation (voir, inter alia, Liège – arrêt du 22 juin 2018 – rôle n° 2017/RG/230)" dans Taxation optionnelle des loyers : l'ouvrage est en cours d'exécution" - point 9 - Actualités fiscales n° 2018/35, semaine du 15 au 21 octobre 2018 - KLuwer - Yves Bernaerts -Conseil fiscal – Chargé de cours à l'EPHEC.
(6) DOC 54 3254/001 - page 28: "Pour l’application de l’article 44, § 3, 2°, d), alinéa 3 (nouveau), du Code, inséré par l’article 5, la première cause d’exigibilité de la TVA (par exemple la réception du paiement d’un acompte, l’émission d’une facture) qui se produit en rapport avec les frais qui sont directement imputables à la construction du nouveau bâtiment, est déterminante pour établir que le bâtiment ou la fraction de bâtiment peut oui ou non constituer par la suite un contrat de location pour lequel l’option pour la taxation peut valablement être exercée. Le fait qu’une note de crédit serait émise après le 1er octobre 2018 pour annuler une facture qui a déjà été émise en août 2018 pour les travaux d’érection, ne fait de la sorte pas obstacle au fait qu’une première cause d’exigibilité de la taxe s’est produite en août 2018, par laquelle le bâtiment ou la fraction de bâtiment concerné(e) ne satisfait plus à la condition exprimée à l’article 44, § 3, 2°, d), alinéa 3 (nouveau), du Code"
(7) Le Ministre des finances indique dans les documents parlementaires que la première cause d’exigibilité de la TVA qui se produit en rapport avec les frais qui sont directement imputables à la construction du nouveau bâtiment, est déterminante. Or, il ne suffit pas que cette cause soit "en rapport", en relation avec la construction. Il est requis que les taxes grèvent des services qui concourent spécifiquement à leur construction. La TVA due sur un acompte en raison du paiement anticipé du prix sur des services relatifs à la construction d'un bâtiment l'est bien en rapport avec cette construction mais non en raison de services qui concourent à cette construction.
(8) Contra M. Yves Bernaerts pour lequel un paiement avant le Ier Octobre 2018 exclu le bâtiment de la faculté d'option (dans "Taxation optionnelle des loyers : l'ouvrage est en cours d'exécution…" - point 6 - Actualités fiscales n° 2018 / 35, semaine du 15 au 21 octobre 2018 - KLuwer).
Stephen G Hürner