12 Septembre 2019
L'arrêt n° C-33/2018 du 6 juin 2019 de la C.J.U.E
Triste jour pour le droit.
Nécessité d'instaurer une procédure d'appel.
Insécurité juridique créée.
L'arrêt décide que "L’article 87, paragraphe 8, du règlement (CE) n° 883/2004 ... doit être interprété en ce sens qu’une personne qui, à la date d’application du règlement n° 883/2004, exerçait une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre, étant donc simultanément assujettie aux législations applicables en matière de sécurité sociale de ces deux États membres, ne devait pas, afin d’être soumise à la législation applicable en vertu du règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement n° 988/2009,introduire une demande expresse en ce sens".
Plus précisément il décide que "49. Au vu de ce qui précède, ..., il convient de répondre à la première question que l’article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 n’est pas applicable à une situation, telle que celle de M. V qui, à la date d’application du règlement n° 883/2004, était assujetti, en vertu de l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71, simultanément à la législation de deux États membres".
En clair "... In its judgment, the CJEU for the first time analysed the 10-year transitional period that was included in Regulation 883/2004 and found that this transitional period is not applicable to situations where - on the basis of Regulation 1408/71, the predecessor to Regulation 883/2004 - an individual was subject to the legislation of two Member States (referred to as “dual subjection”)" (PwC Legal 10 septembre 2018).
Notre avis.
Nous ne pouvons agréer cette décision dès lors qu'un texte clair ne peut s'interpréter. Chercher à le faire aboutit à introduire l'insécurité juridique dans le droit européen. La Cour de Justice n'a pas pour mission de se substituer au législateur européen, d'interpréter ni de chercher sa pensée en présence d'un texte clair. Je suis d'avis qu'il doit être envisagé de ne pas appliquer cet arrêt pour excès de pouvoir.
Analyse.
Relisons l'article 87, paragraphe 8 du Règlement 883/2004 : " Si, en conséquence du présent règlement, une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71, cette personne continue d’être soumise à cette dernière législation aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée ... ".
Une personne qui aurait été soumise à la sécurité sociale belge pour indépendants et à la sécurité sociale pour employé au Grand Duché de Luxembourg sous le Règlement 1408/71 est-elle couverte par l'exception prévue à l'article 87, § 8 du règlement 883/2004 sachant que sa règle générale prévoit qu'elle devient soumise totalement à la sécurité sociale pour employé du Grand Duché de Luxembourg ? Est-ce que, de par la règle générale du règlement 883/2004, cette personne ne devient-elle pas soumise à la sécurité sociale luxembourgeoise pour employé au lieu de la sécurité sociale pour indépendants en Belgique ?
Certes, oui.
Est-ce que la formulation de l'article 87,§8 du règlement 883/2004 ne vise que la situation d'une personne soumise (en cas d'exercice d'une activité sur le territoire de plusieurs États membre) à une seule législation en excluant les cas de dualité dits de l'annexe 7 du Règlement 1408/71?
Non.
L'article 87,§8 du Règlement 883/2004 est extrêmement large et vise tous les cas où "une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71". Lorsqu'une personne est soumise à la législation belge en vertu du règlement 1408/71 et qu'elle devient assujettie à la législation du Grand Duché de Luxembourg en vertu du règlement 883/2004 ne sommes-nous pas dans une situation où "une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71" ?
Certes, oui.
Si l'article 87,§8 du Règlement 883/2004 avait voulu dire ce que l'arrêt de la C.J.U.E n° C-33/88 du 6 juin 2019 veut lui fait dire il eut été rédigé comme suit: " Si, en conséquence du présent règlement, une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que l'unique législation à laquelle elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71, cette personne continue d’être soumise à cette dernière législation aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée ... " . Mieux, il aurait dit: " Si, en conséquence du présent règlement, une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71 à l'exception des cas visés à l'article 14 quater, b) cette personne continue d’être soumise à cette dernière législation aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée ...".
Ce n'est pas le cas.
Pour justifier sa position la Cour de Justice dit
(a) en son point 33."... Il convient de constater ..., que l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 ne régit pas explicitement des situations comme celles visées par l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71, dans lesquelles la législation de sécurité sociale de deux États membres est simultanément applicable et, en conséquence du règlement n° 883/2004, une seule de ces deux législations reste applicable" (je mets en caractères gras).
Je ne vois pas en quoi il "convient de constater que l’article 87, paragraphe 8, du règlement n°883/2004 ne régit pas explicitement des situations comme celles visées par l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71 ...". Il est évident que la dérogation prévue par l'article 87,§8 du règlement 883/2004 est très large et générale: " Si, en conséquence du présent règlement, une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu ... du règlement (CEE) n° 1408/71, cette personne continue d’être soumise à cette dernière législation ... ". A partir du moment où une dérogation couvre, par son caractère général, un ensemble de situations est-elle inapplicable dès lors qu'elle ne mentionne pas explicitement une des situations quelle couvre ?
Certes non.
(b) Dans le cadre de la lecture que la Cour a de l'article 87,§8 du règlement 883/2004 soulignons la force de ses arguments (points 37 et 38 infra). Je mets en caractères gras.
"36. En ce qui concerne son libellé, l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, ... vise le cas d’une personne qui, en conséquence du règlement no 883/2004, « est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement [no 1408/71] ».
37 Il semble ainsi ressortir du libellé de cette disposition, en ce que l’adjectif « autre » fait référence au mot « État », que le législateur de l’Union vise la situation dans laquelle l’application d’une législation d’un État membre succède à l’application d’une législation d’un autre État membre.
38 Ainsi, selon une interprétation littérale de l’article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004, son premier membre de phrase semble viser uniquement des situations dans lesquelles, à partir de la date d’application du règlement n° 883/2004, une personne est soumise à la législation d’un État membre différent de l’État à la législation duquel elle était soumise auparavant".
(c) en son point 45. "Dans ces conditions, une interprétation de l’article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004, qui tient compte du contexte dans lequel cette disposition s’insère, ne saurait plaider en faveur de la perpétuation du régime dérogatoire prévoyant une double affiliation, laquelle serait incohérente avec le système mis en place par ce règlement, qui se fonde sur le principe d’unicité de la législation nationale applicable" (je mets en caractères gras).
Je ne vois pas pourquoi la dérogation implémentée par l'article 87,§8 du règlement 883/2004, qui est limpide, devrait être interprétée dans le cadre d'un "contexte dans lequel elle s'insérerait". Il n'y a rien à interpréter, la Cour de Justice n'a pas pour rôle de s'instituer législateur européen.
(d) en son point 46:" S’agissant de la finalité de l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 ..." (je mets en caractères gras).
Pourquoi essayer de cerner une finalité en présence d'un texte clair ?
(e) en son point 48. "Or, il ressort du point 39 du présent arrêt que, dans une situation dans laquelle une personne était soumise, sous l’empire du règlement n° 1408/71, simultanément aux législations de deux États membres, le .....règlement n° 883/2004 ne conduit pas à l’application au travailleur d’une législation d’un autre État membre, qui serait donc nouvelle, mais entraîne seulement un changement de sa situation en raison de la cessation de l’application, en ce qui le concerne, de la législation d’un des deux États membres à laquelle il était jusqu’alors soumis" (je mets en caractères gras).
Ainsi dans le cas faisant l'objet de l'arrêt C-33/88 une personne soumise à la législation sociale belge pour indépendants sous l'empire du règlement 1408/71 qui devient assujettie selon le règlement 883/2004 à la sécurité sociale luxembourgeoise "ne conduit pas à l’application ....d’une législation d’un autre État membre". En effet, selon la Cour, cette législation d'un autre État membre ne doit pas être considérée comme nouvelle (voir l'emploi du conditionnel - "qui serait donc nouvelle-") dès lors qu'elle "entraîne seulement un changement de sa situation" suite à la "cessation de l’application ... de la législation d’un des deux États membres" à laquelle elle était jusqu’alors soumise.
Ce qui veut dire que si, de soumis à la sécurité sociale belge pour indépendants, vous devenez soumis à la sécurité sociale luxembourgeoise pour employé il n'y a selon la Cour de Justice, aucun changement de législation.
Surprenant.
Stephen G Hürner