31 Août 2024
Étant retiré des affaires fiscales je suis de plus en plus étonné des articles angoissants en la matière publiés par les grands médias belges. Depuis quand des auteurs, commentateurs se satisfont d'articles à sensation en matière fiscale sans apporter, fusse une ébauche, de solution et qu'est-ce cette tendance à considérer comme inscrits dans le marbre des textes de lois, des opinions ministérielles ou de l'administration ? Les conseils fiscaux ne sont-ils plus que des messagers ?
Après la panique créée par des fiscalistes quant aux sociétés immobilières françaises, voici maintenant celle concernant les propriétaires belges d'immeubles français qu'ils occupent le temps des vacances pour les louer le reste du temps, soit 90% du temps, dans un cadre saisonnier et meublé.
Ainsi, un article du 27 août publié dans l'Echo . be signale que "Les propriétaires belges d’un Airbnb à l’étranger sont doublement imposés", "Le fisc belge considère qu’une partie des revenus issus de la location de biens Airbnb à l’étranger et perçus par les contribuables belges sont des revenus mobiliers, et donc imposables en Belgique. Le fisc français n’est pas du même avis", la "... position de l’administration fiscale française : "Elle n’opère pas de distinction entre revenus immobiliers et revenus mobiliers dans le cas des locations Airbnb. La France considère ces revenus comme un tout, sans distinction, et donc imposables en France. Il risque d’y avoir une mésentente entre les deux administrations" (je mets en caractères gras).
Certes l'information est intéressante malgré le ton du film "Sous la Seine" mais on cherchera vainement la moindre indication de solutions, de réponses à donner à l'administration fiscale. Ces articles ont-ils donc pour vocation d'être un produit d'appel pour convaincre le chaland qu'il doit passer par la case "je paie des honoraires" pour avoir une solution ou non ?.
a. A la page 1159, point 66920 de l'ouvrage "Les impôts dans les affaires internationales" (Bruno Gouthière -17e édition - Lefebvre-Dalloz) il est mentionné "D'une manière générale les conventions fiscales qui reprennent le modèle de l'OCDE ne s'attachent pas à la forme d'exploitation des biens immobiliers pour déterminer le caractère immobilier du revenu. Autrement dit, il y a revenu immobilier quel que soit le propriétaire (...) et quel que soit le mode d'exploitation (location nue ou en meublé, exploitation directe, affermage, etc)."
Nous savons néanmoins que la Convention franco-belge de 1964 ne s'inscrit pas globalement dans le modèle de l'OCDE.
b. Dans une décision du 27 mai 2002 (citée par M. Bruno Gouthière ibid.) le Conseil d’État à propos de la convention fiscale franco-canadienne, dit " Considérant qu'au sens de la législation fiscale française, l'expression "biens immobiliers" doit être entendue comme désignant les immeubles par nature et non les "immeubles par destination" au sens du droit civil ; qu'ainsi, à supposer même que, comme le soutient l'administration, les mobiliers, matériels et outillages en l'espèce donnés en location aient été "immeubles par destination", au sens des dispositions de l'article 524 du code civil, ces biens n'entraient pas dans le champ d'application de l'article 6 précité de la convention ; que les produits tirés de leur location ne pouvaient, dès lors, être imposés en France que dans la limite fixée, à l'article 12 de la convention, en ce qui concerne les "redevances" " (je souligne et mets en caractères gras).
La décision du 27 mai 2002 du CE s'inscrivant dans un contexte particulier, il sera difficile d'en tirer des conclusions générales. Notons qu'il y a deux conventions dont l'une concernant des biens meubles. Elle nous incite toutefois à lire l'article de la Convention préventive de la double imposition de 1964 entre la France et la Belgique concernant les redevances.
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Article 8.1
Il en résulte que les rémunérations pour l'usage de biens corporels sont taxables en ... France si le bénéficiaire y a une installation fixe qui intervient dans l'opération qui les génère. L'administration française définissant une installation (d'affaires) "comme des éléments tels que des locaux, du matériel, de l'outillage, un emplacement, etc., (dont l'entreprise a la disposition)" (point 40, Ier tiret) l'immeuble français "loué meublé" est une installation fixe (sans référence à un cadre « affaires / entreprise »).
On pourrait, des lors, être tenté de considérer que dans le cadre spécifique de la convention de 1964 la location saisonnière (ou de meublé de tourisme, voir infra) tomberait dans le champ des articles 3 (revenus immobiliers) et 8.1 (redevances). Comme les revenus mobiliers (redevances - art 8.1) naissent de biens meubles exploités dans une installation fixe, un immeuble, des locaux sis en France la dévolution du droit de les taxer appartiendrait néanmoins toujours pour la totalité des revenus à la France et non à la Belgique (1). Sous cet angle le problème créé par le fisc belge proviendrait du fait que les fiches 281.48 émises par les plateformes numériques style AirBnB ne mentionnent pas le lieu de l’immeuble.
Cette ventilation du revenu d'un seul contrat global, couvrant un ensemble de services liés et serfs de la location immobilière, entre les articles 3 et 8 de la convention de 1964 expliquerait ainsi l’attitude du fisc belge lorsqu'il veut taxer directement en Belgique la quote-part, non définie contractuellement, des loyers couvrant les meubles quoique méconnaissant la règle de droit concernant l’installation fixe française.
Cette ventilation créerait aussi un autre problème dès lors qu’elle ne fait pas tomber la "location saisonnière" dans le champ des "autres modes d’exploitation" d’un bien immobilier tel que mentionné à l’article 3 de la Convention de 1964.
En effet, dans le projet de nouvelle convention fiscale de 2021 entre la France et la Belgique (voir l'article 12) les redevances ne couvrent plus l’usage de biens meubles alors que l’article concernant les revenus immobiliers est inchangé pour ce qui a trait à notre propos. Admettre que la position récente du fisc belge quant à ventiler le revenu entre les articles 3 et 8 de la convention soit fondée ouvrirait la porte à des discussions sur l’applicabilité du seul article sur les revenus immobiliers (article 3 de la convention de 1964) aux locations de meublé de tourisme pour la totalité de leurs revenus …. dans le nouveau projet de convention fiscale.
Mais ...pouvons nous vraiment considérer que la location saisonnière ou de meublé de tourisme (qui ne sont pas les locations meublées visées par la loi ALUR), sujets de l’intérêt récent du fisc belge, sont des locations immobilières auxquelles "s'ajouterait" une location de biens meubles (articles 3 et 8) ?
Je ne le pense pas. Les contrats de type AirBnB, soit essentiellement de location de “meublé de tourisme” sont des contrats complexes concernant des "villas, appartements, ou studios meublés, à l'usage exclusif du locataire, offerts en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, et qui n'y élit pas domicile" répondant à des contraintes légales et à un environnement spécifique (lire in fine). Ces contrats de meublé de tourisme, de location saisonnière constituent indubitablement "un autre mode d’exploitation des biens immobiliers". Ils tombent, dés lors, exclusivement dans le champ d'application de l'article 3 de la convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique de 1964 d'autant plus qu'il y a un seul contrat global couvrant une multiplicité de services (lire in fine), un seul paiement. Nous ne sommes pas dans la situation ayant fait l'objet de la décision du 27 mai 2002 du Conseil d’État français.
Terminant ma note il semble que le fisc belge ne veuille pas appliquer, fusse erronément, l’article 8 de la convention en oubliant l’installation fixe en France qu’est l’immeuble loué, mais l’article 18 dit résiduel de la convention concernant les revenus non dénommés puisque selon lui la quote-part des revenus afférente aux meubles corporels ne tomberait pas dans le champ de l’article 3 (revenus immobiliers).
Considérer que les revenus d’un contrat de meublé de tourisme comprendraient 40% de revenus de location de biens meubles taxables exclusivement en Belgique sera voué à l’échec.
L'avis du SPF Finances (Belgique) selon lequel "Dans la toute grande majorité des CPDI conclues par la Belgique, sauf démonstration par le contribuable que les meubles concernés par le loyer sont considérés comme des biens immobiliers dans le droit de l’État où ces biens sont situés – ce qui est peu probable –, l’article résiduaire ‘autres revenus’ de la CPDI s’appliquera à la partie mobilière du loyer. Il donnera souvent le pouvoir d’imposition à la Belgique en tant qu’État de résidence du bénéficiaire des loyers" (in article mentionné supra de l'Echo .be) ignorant les revenus produits par "toute autre forme d'exploitation d'un bien immobilier" traduit une méconnaissance de l'article 3 (revenus mobiliers) de la Convention de 1964, une ignorance de la nature du contrat de meublé de tourisme en ce qu'il relève de la para-hôtellerie et qu'il est un contrat spécifique complexe. A supposer, quod non, qu'il soit possible de soutenir l'existence d'une location mobilière, la position du fisc belge ignore tout autant l'article 8 de la convention fiscale de 1964.
Stephen G Hürner
(1) Contra - Liégeois, Clotilde. in "Le régime fiscal de la détention d'un bien immeuble à l'étranger, l'échange de renseignements et la contrariété au droit européen : état des lieux et perspectives. Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2015. Prom. : Traversa, Edoardo. http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:3231 " point 2.2, page 19.<<Il est important de préciser que si la résidence étrangère est mise en location en tant que maison de vacances, elle sera le plus souvent meublée {87}. Prenons l’exemple d’un contribuable propriétaire d’un bien immeuble en France. Dans ce cas, la convention préventive de la double imposition {88} précise en son article 8.1 que les revenus qui rémunèrent l’usage ou la vente de biens mobiliers corporels ne sont imposables que dans l’État contractant dont le bénéficiaire est un résident, c’est-à-dire en Belgique {89}>> (je mets en caractères gras).
Madame Liégeois fait référence à un article de M. A. LACOURT, « Éléments fiscaux et patrimoniaux de la détention d’un immeuble en France par un résident belge », in L’optimalisation fiscale du patrimoine immobilier. Applications pratiques en Belgique et en France, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007, p. 364 à 366, que je n'ai pu lire. Je suis sceptique quant à la conclusion qu'en tire Madame Liégeois.