6 Juillet 2024
Amendé le 08.08.24
Nous découvrons dans « Taxwin » de ce vendredi 5 juillet 2024 un article intitulé « Les Sociétés Civiles immobilières (SCI) françaises doivent-elles être déclarées dans le cadre de la taxe Caïman 3.0 ? » de Madame Valérie-Anne de Brauwere et Monsieur Nicolas Themelin.
Rappelons que suite à une modification de la législation fiscale en décembre 2023 concernant le champ de la taxe dite Caïman plusieurs articles dans les grands médias et sur la toile de presque tous les conseils fiscaux et/ou financiers annoncèrent des désastres fiscaux pour les détenteurs résidents belges de sociétés immobilières françaises qui n’en demandaient pas autant. Les SCI françaises étaient donc désormais visées par l’application d’une transparence fiscale vu que lors du calcul d’un test dit des 1% il faudrait, peut-être mais c’était écrit par eux, tenir compte d’un avantage anormal et bénévole. Même si elles se contentaient de mettre à disposition gratuitement un immeuble, pas grave un revenu cadastral belge devrait être déclaré en Belgique dans les mains de l’associé et comme il n’y avait pas d’imposition effective en France, la nouvelle convention fiscale entre la France et la Belgique impliquait une proche taxation plein pot en Belgique.
Au vu du mouvement de panique créé par ces délires Monsieur Alain Lacourt fut assez clair sur la question dans un écrit du 26 mai 2024 « Non, une SCI n'entre pas dans le champ de la nouvelle version de la taxe Caïman! ». Dans un autre article du 26 juin le même, commentant un arrêt de la Cour de Cassation du 25 avril 2024 confirme que la SCI francaise ne peut tomber dans le champ de la taxe Caïman.
Les auteurs de l’article publié ce 5 juillet dans Taxwin considèrent, eux aussi, que la SCI n’est pas une construction juridique. Ceci est manifestement une bonne nouvelle pour celles et ceux qui n’ont pas encore introduit leur déclaration fiscale et n'ont pas déclaré qu’ils avaient une construction juridique par leur SCI, attention celle visée à l’article 8.1 CGI.
Leur analyse s’effectue dans un cadre où ils rappellent que lors des travaux parlementaires « …le ministre affirme, sans justification, que la SCI constitue dorénavant une construction juridique « En raison de la présence de la personnalité juridique, cette société est en principe considérée comme une personne imposable distincte du point de vue belge. Par conséquent, cette forme juridique entre dans le champ d’application de la taxe Caïman lorsque les actionnaires sont des habitants du Royaume » (Note 1 infra).
Or, nous savons que le législateur a commis un lapsus évident et qu’il ne visait pas les SCI de l’article 8.1 CGI dites translucides fiscalement ou semi-transparentes. Nous prouvons infra que le législateur a uniquement visé des SCI transparentes qui, elles, ne sont pas celles détenues majoritairement par les résidents belges.
Cet article laisse un sentiment d’inachevé parce qu’il exclut la SCI française, sans préciser de laquelle il s’agit, de la taxe dite Caïman pour une mauvaise raison. En effet, selon ses auteurs la SCI est exclue car le test de l'article 2, § 1er, 13°, b), alinéa 2,2° du CIR 1992, dit des 1%, est rencontré ou ne peut l’être. L’analyse est intéressante mais superfétatoire. La SCI répond selon eux à la condition de taxation minimale ou ce test ne peut pas s’appliquer, donc ce n’est pas une construction juridique. C’est bien ce qu’ils écrivent « Contrairement à ce qu’affirme le ministre, la SCI n’est une construction juridique que si elle ne répond pas à la condition dite de taxation minimale : si les revenus de la SCI sont soumis, dans le chef de l’associé résident fiscal belge, à un impôt sur les revenus français (ce qui est le cas) et si cet impôt s'élève à au moins 1% de la part incombant à cet associé sur le revenu imposable de la SCI déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants, la SCI n’est pas une construction juridique (Article 2, § 1er, 13°, b), alinéa 2,2° CIR 1992) ».
I. Nous allons montrer qu’en soutenant que la SCI française dite translucide (de l’article 8.1 CGI) n’est pas une construction juridique parce qu’elle satisfait au seul test des 1% les auteurs de l’article estiment qu’elle serait une société dont « les revenus sont imposés dans le chef des associés », ce qui est le cas mais le législateur n'a pas voulu couvrir ces SCI.
Le législateur n'a pas voulu couvrir les SCI translucides.
I.a. A mon sens nous traitons ici du cœur de la confusion depuis décembre 2023 en matière de SCI. En effet, il s'agit de comprendre ce qu'a voulu le législateur en mentionnant des revenus qui sont imposés au niveau des associés ?
Nous allons démontrer que le législateur a repris la formulation d'un Arrêté Royal du 21 novembre 2018 couvrant des sociétés civiles françaises fiscalement transparentes (et non translucides) qui ne sont pas fiscalement distinctes de leurs associés et ne sont pas le sujet fiscal et que cela est appuyé par les travaux parlementaires de la Loi-programme du 22 décembre 2023 (MB 29.12.2023).
I.a.1 Les Arrêtés royaux.
Dans le Rapport au Roi de l'Arrêté Royal du 18 décembre 2015 publié le 29 décembre 2015 il est dit:
" Il s'ensuit que sont aussi visées les sociétés qui ne sont pas considérées transparentes par le droit fiscal belge, mais bien considérées fiscalement transparentes conformément au droit fiscal de l’État membre de l'Espace économique européen dans lequel ces sociétés sont établies. La Société en Commandite Simple de droit luxembourgeois (2) est un exemple d'une telle société....L'absence de règles harmonisées au sein de l'Espace économique européen conduit certains contribuables, qui utilisent ces sociétés hybrides, à pouvoir éviter l'application de l'impôt sur les revenus. Avec l'introduction de la définition reprise dans cet arrêté royal, ces sociétés hybrides sont désormais soumises au régime de taxation qui est applicable aux constructions juridiques".
Le texte de l’AR modifié devenant:
Article 1er.Par dérogation de l'article 2, § 1er, 13°, b, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, les sociétés, …., qui possède la personnalité juridique, qui sont établies au sein de l'Espace Economique Européen et qui sont reprises dans la liste suivante, sont des constructions juridiques: 1° 2° une société qui n'est pas incluse dans le champ d'application de l'article 29, § 2 du Code précité :
- dans la mesure où celle-ci reçoit des revenus d'origine belge qui ne sont pas taxables en Belgique, et;- dont les revenus sont considérés comme produits ou recueillis, en vertu de la législation fiscale du pays où cette société est établie, directement dans le chef des actionnaires ou associés de cette société”.
Toutefois cette mesure ne visait les sociétés hybrides que dans la mesure où ces sociétés recueillent des revenus d'origine belge, le champ d'application du régime de taxation était limité inutilement.
Dans le Rapport au Roi de l'Arrêté Royal du 21 novembre 2018 publié le 03 décembre 2018 est ensuite dit:
"Dans le projet qui Vous est soumis, le champ d'application est donc également élargi de sorte que sont désormais visés non seulement les revenus d'origine belge mais tous les revenus de telles sociétés hybrides, indépendamment de leur origine.... Les sociétés qui sont déjà, suite à l'application de l'article 29, du même Code, considérées comme fiscalement transparentes en matière d'impôt sur les revenus en Belgique, n'entrent pas en ligne de compte... Entrent ensuite en ligne de compte les sociétés dont les revenus sont, en vertu de la législation fiscale de l’État ou de la juridiction où cette société est établie, imposés dans le chef des actionnaires ou associés de cette société. Cette disposition vise donc les sociétés qui, dans l’État ou la juridiction dans laquelle sont établies ces sociétés, disposent de la personnalité juridique conformément au droit civil, mais dont l'impôt sur les revenus est ultimement perçu dans le chef de l'actionnaire ou associé sous-jacent".
Le texte du Rapport au Roi de l'AR du 21 novembre 2018 doit se lire avec celui du 18 décembre 2015 pour comprendre que ne sont visées que les SCI transparentes ( "... sont aussi visées les sociétés qui ne sont pas considérées transparentes par le droit fiscal belge, mais bien considérées fiscalement transparentes conformément au droit fiscal de l’État membre de l'Espace économique européen dans lequel ces sociétés sont établies. La Société en Commandite Simple de droit luxembourgeois (2) est un exemple d'une telle société ...").
Dans le Rapport au Roi de l'Arrêté Royal du 21 novembre 2018 publié le 03 décembre 2018 est ensuite affirmé:
"Par conséquent, celles que l'on appelle les "sociétés translucides" (comme par exemple la société civile française) qui disposent de la personnalité juridique conformément au droit civil français ... sont en principe également visées par cette disposition".
Soulignons “celles que l'on appelle les "sociétés translucides" (comme la société civile française). Il eut été plus correct de dire “comme une des formes de la société civile française”.
Le texte de l’AR modifié devenant:
Article 1er.Conformément à l'article 2, § 1er, 13°, b, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, sont des constructions juridiques les sociétés, … , qui possèdent la personnalité juridique, qui sont établis au sein de l'Espace Economique Européen et qui sont repris dans la liste suivante : 1° 2° une société qui n'est pas incluse dans le champ d'application de l'article 29, § 2, du Code précité et dont les revenus sont imposés dans le chef des associés ou actionnaires par l'Etat ou la juridiction dans laquelle cette société est établie;La comparaison des modifications apportées par les AR de 2015 et 2018 et le texte des Rapports au Roi visant “les sociétés qui ne sont pas considérées transparentes par le droit fiscal belge, mais bien considérées fiscalement transparentes conformément au droit fiscal de l’État membre de l'Espace économique européen dans lequel ces sociétés sont établies" nous apparaît démontrer que la mention des sociétés translucides résulte d’une incompréhension des rédacteurs. Seules les sociétés civiles transparentes n’ayant pas de personnalité fiscale distincte de ldufxassociés et pour lesquelles il est correct de dire que “les revenus sont considérés comme produits ou recueillis, en vertu de la législation fiscale directement dans le chef des associes” sont visées.
I.a.2 La Loi-programme du 22 décembre 2023.
En analysant le texte les travaux parlementaires de l'article 32 de la Loi-Programme du 22 décembre 2023 publiée au Moniteur belge du 29 décembre 2023 (Exposé des motifs DOC 55 3697/001 pg 31/ Conseil d'Etat DOC 55 3697/001 - page 314) nous allons montrer que, de la construction du texte résulte que le législateur vise bien (a) les SCI ayant une personnalité juridique, (b) fiscalement transparentes, (c) dont les associés sont imposés comme s’ils étaient directement propriétaires du bien. Cette définition n’est pas celle d’une SCI translucide.
Nous y lisons:
I.b) Si, comme l'affirment les auteurs de l'article cité supra, les SCI ne sont pas des constructions juridiques parce qu’elles satisfont au seul test des 1% de l’article 2, §1er. 13°, b, alinéa 2,2° CIR 1992 c’est que, pour eux, ce sont des sociétés dont les revenus sont imposés dans le chef des associés.
Lisons le texte
<< Art. 2, § 1er. 13°, b, alinéa 2,2° CIR 1992: Par construction juridique, on entend:
(al 1°) toute société, ....qui possède la personnalité juridique ... qui, en vertu des dispositions de la législation de l’État ... soit n'y est pas soumis à un impôt sur les revenus, soit y est soumis à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 15 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants.
(al 2°) Les sociétés,.... visés à l'alinéa 1er ne constituent pas des constructions juridiques s'ils sont établis dans un État ou une juridiction qui fait partie de l'Espace économique européen,
sauf lorsqu'elle concerne:
2° une société ...
dont les revenus sont imposés dans le chef des associés ...par l’État ....
sauf si
et
II. Ayant démontré que les SCI translucides fiscalement ne pouvaient tomber dans le champ de l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 2° du CIR, puisque le législateur ne les vise pas, tomberions-nous dans le champ de l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° CIR 1992 ? Charybde étant évitée passerions nous en Scylla ?
Selon cet alinéa 2,3° est une construction juridique (avec application de la taxe Caïman sous réserve de la convention) "3° une société, ... qui possède la personnalité juridique, qui n'est pas visée au 1° ou 2° ... et qui, en vertu des dispositions de la législation de l’État ... dans laquelle elle est établie, soit, n'y est pas soumise à un impôt sur les revenus, soit, y est soumise à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 1 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants" (je mets en caractères gras).
La réponse à la suggestion est négative, cet article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° du CIR étant tout aussi inapplicable aux SCI fiscalement translucides que le 2, 13°, b), alinéa 2, 2° dés lors qu'il vise une SCI qui serait "soumise à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 1 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique ...". (je mets en caractères gras).
En effet, il est impossible de calculer un tel impôt, une base imposable liée à l'impôt payé puisqu'elle est recalculée au niveau des associés et que l'impôt payé par l'associé est lié au régime fiscal de ces derniers. Déterminer un impôt dû au niveau de la SCI s'élevant à "au moins"' n'a aucun sens puisque la détermination de cet impôt est impossible vu les modalités d'imposition de la SCI translucide.
Le régime de la translucidité fait que l'impôt est calculé en fonction des spécificités de chaque associé, il n'y a pas d'impôt payé tel quel au niveau de la SCI, encore moins en son nom . Le résultat de la SCI est déterminé et calculé au niveau de la société mais il est "imposé" entre les mains des associés, chacun pour la part lui revenant dans la catégorie des revenus fonciers et compte tenu d'éléments propres à l'associé.
Stephen G Hürner
Notes
1. Projet de loi-programme, Exposé des motifs, Chambre des Représentants, 23 novembre 2023, Doc. parl. 55 3697/001, p. 31. - Projet de loi-programme, Avis du Conseil d’Etat, Chambre des Représentants, 23 novembre 2023, Doc. parl. 55 3697/001, pp. 314-315